J'ai ressorti ma médaille honorifique Nord-Coréenne de son étui. Je l'ai longuement faite tourner entre mes doigts, observant le métal dorée qui scintillait doucement à la lumière de ma lampe de chevet. Elle était cachée sous une latte du parquet de ma chambre à l'ISS. Ce n'était pas que j'avais peur qu'on la trouve, ni qu'on sache – tout le monde le sait ici – mais je n'avais pas réussi à m'en débarrasser définitivement. Effacer le passé est impossible, on vit et évolue avec.
Mon horloge digitale affichait 1:15 A.M. Je n'arrivais pas à dormir. Ma mère me manquait... Étrangement, mon père aussi. C'était une nuit de mélancolie parmi tant d'autres, j'en faisais au moins une fois par mois et apaisais mon esprit avec quelques verres de vin. C'est ce que je m'empressai de faire, m'endormant plus aisément après, ma médaille serrait dans le creux de ma paume droite.

Je suis Coréen. Du Nord et du Sud. Park Sang Wook, mon père, Shin Soo Ji, ma mère. La frontière n'a pas empêché ma création. Le sang qui coule en moi provient des deux pays. On ne pourrait pas faire plus Coréen que moi. Je pourrais être quasiment l'emblème de la réunification si celle-ci avait lieu.
Personne ne le sait, mis à part PRINCESS, probablement. La version officielle dit que je suis né au Nord, que mes parents ont travaillé pour l'armée Nord-Coréen et que je suis le fruit d'un amour issu d'un pays communiste et dictatorial. En somme, j'ai déserté une des dernières dictatures rouges du monde, choisissant aux yeux des plus simplistes le dit « bon » camp.
On m'a souvent prêté le défaut d'avoir en tête encore les idéologies qu'on m'a enseigné. Difficile pour quelqu'un d'oublier ce qu'on a appris depuis sa tendre enfance et réapprendre différemment. On m'a éduqué dans la haine des étrangers, l'ignorance de certaines technologies ou libertés humaines acquises ailleurs, la peur de l'Occident et la suprématie de notre pouvoir sur le reste du monde pour le bien de l'humanité. Ça paraît dingue, mais il y a six ans de ça, j'y croyais. J'étais pas plus con qu'un autre, loin de là, j'ai même un esprit vif. L'éducation et l'instruction qu'on donne à nos enfants déterminent beaucoup de choses, une société protectionniste poussée à son extrême n'améliore pas vraiment les choses. Mon père m'a manipulé autant qu'il l'était, voir pire.

Le plus grand mensonge de ma vie a été de croire que ma mère était décédée alors que j'avais 5 ans. D'après mon géniteur, ils s'étaient tout deux rencontrer dans l'armée, s'étaient mariés et m'avaient désiré. Alors qu'elle avait repris activement ses occupations depuis que j'étais rentré en maternel, elle s'était prise une balle en pleine tête de la part d'un Sud-Coréen près de la frontière alors qu'elle patrouillait. J'ai gobé l'histoire, sans chercher à comprendre, naïf comme le sont les enfants. Le corps n'avait pas été rapatrié jusqu'à la capitale et je n'en sus pas plus. Ça a développé chez moi une haine incommensurable pour le gouvernement du Sud. Mon père a attisé le feu qui grondait dans mon torse en soufflant dessus. J'avais des souvenirs d'elle. Des souvenirs heureux, très puissants et aimants. Bizarrement... Je n'en avais pas de mon père, pas du temps où j'étais tout petit. Mes questions ne dépassèrent pas ce stade. Pourquoi l'aurais je fait ? Comment vouliez vous que de mes 5 ans jusqu'à mes 21 ans je me doute de quoi que ce soit ? Je n'ai pas non plus cherché à connaître ma famille maternelle, trouvant ça normal vu que celle paternelle ne m'a jamais été présenté.

Park Dae Jung. J'avais le nom de famille de mon père avant. Il m'a éduqué dans le seul but d'être son successeur aux yeux de l'armée Nord Coréenne. Il n'était pas mauvais dans son job, son physique était bon, ses prises de judo et sa précision au tire aussi. C'était un membre exemplaire plutôt complet et il était, aux dernières nouvelles, colonel. Un grade qu'il méritait, sans aucun doute. J'étais le fils d'un modèle, mais aussi d'un étrange égoïste. Je dis ça parce qu'au fond je ne crois pas qu'il m'ait aimé normalement. Il était fier de moi parce que j'étais un garçon, son héritier et que j'étais énergique, doué, je voulais le satisfaire, lui plaire, j'avais tout pour le surpasser. Que je sois son enfant et celui d'une femme qu'il avait aimé n'avait pas l'air de lui provoquer la moindre tendresse ou élan de protection à mon égard.

J'ai souffert à en hurler à plein poumons de douleurs avec lui. Les méthodes qu'il employait pour m'entraîner était digne des petits gymnastes chinois. Des heures de torture à travailler ma souplesse, ma force, mon souffle, ma précision, mon agilité, etc... Je pouvais pleurer autant que mon corps me le permettait, il ne lâchait pas. Était ce vraiment cruel au fond ? Dois je l'en remercier désormais ? Je ne sais pas. La qualité idéale pour un espion international est de n'avoir aucun jugement, aucune rancœur contre personne, sa neutralité fait de lui un expert, l'arme idéal. Je crois... Que je ne lui en veux pas. Il y avait du bon en lui et il y en a toujours. Je ne peux pas cracher sur ce qu'il m'a apporté. J'étais né pour être le meilleur et je suis en passe de le devenir. Sans lui, qu'aurais je fait de ma vie ? Il m'a permis, sans le savoir, de partir, rencontrer ma mère, et travailler au sein de l'ISS. Mais malheureusement, aussi, de quitter des personnes que j'aimais profondément.

Cette fameuse médaille honorifique, je l'ai eu de ses mains en 2007 lors d'une cérémonie officielle. Je n'avais que 20 ans. Pourquoi avais je eu ce privilège ? Je m'étais engagé à 17 ans directement dans l'armée, âge de la majorité Nord-Coréenne. Au bout de quatre années consécutives, j'avais encore décroché les meilleurs appréciations de mes supérieurs et j'avais eu l'étonnante chance – si l'on peut dire – de faire mes preuves sur ma rapidité d'action en sauvant in-extrémiste mon sergent chef qui avait eu un infarctus. Le hasard de la vie nous fait des fleurs parfois. Je n'étais pourtant pas le meilleur partout, mais j'avais tout pour l'être, autant dans mon comportement que dans mes aptitudes acquises depuis mon enfance. On me voyait déjà comme quelqu'un d'hors-norme et très efficace.
Le lendemain, en rentrant à Pyongyang centre pour passer un week end en amoureux, j'avais fait ma demande de fiançailles au prêt de ma petite-amie de l'époque à la demande de mon père. Avec le recule, c'est vrai qu'il avait pris en main ma vie. J'aimais cette fille, vraiment, surtout pour sa simplicité et son soutien, mais l'engagement m'avait semblé trop hâtif. Ça faisait un an que je sortais avec elle, aux yeux des autres il fallait que j'officialise notre relation et la rende plus sérieuse. Nous ne sommes jamais allé jusqu'au mariage. Un événement important pour moi survint juste avant.

Le 27 Mars 2008, en mission pendant deux semaines à la frontière Nord-Coréenne et Chinoise, j'ai fait une rencontre qui a bouleversé ma vie. A ce moment là, quelques petites tensions politiques s'étaient faites ressentir entre les deux pays. La puissance militaire Chinoise étant bien au dessus de la notre, la plupart d'entre-nous avait donc été posté à la frontière en cas d'attaque. Franchement, c'était étonnement calme et mon ennui m'avait poussé à n'en faire qu'à ma tête et à aller chercher le risque inutilement. J'étais de garde de nuit, équipement complet, avec un coéquipier meilleur en jeu d'argent et blagues nulles qu'en tire. Préférant faire cavalier seul, je l'avais laissé discuter avec mes camarades pour m'aventurer un peu plus prêt du territoire Chinois. Dans la pénombre des arbres, une ombre furtive passa. Je dégainais mon Colt, fixant habilement mon silencieux pour approcher. Inutile d'alerter les alentours si j'avais à tirer.
J'aurais dû ne rien faire, ce qu'il se passait n'était pas en Corée. Alors que j'avançais, ayant grand mal à discerner quelque chose dans les fourrés, une lampe s'alluma en plein sur mon visage, m'aveuglant. Instinctivement, j'ai tiré. Headshot loupait, et heureusement. La personne fut plus rapide que moi, posant fermement sa main sur mes poignées pour m'obliger à baisser ma garde.

« Coréen ? Je ne suis pas là pour toi. Je suis de ton côté pour une fois.»

La lampe s'éteignit, quelques secondes passèrent, puis elle se ralluma. Le visage de l'inconnue me fut plus visible. C'était une femme d'une quarantaine d'années, les traits fins, son regard noir me dévisageait. Je vis ses yeux s'arrêter sur la cicatrice que j'ai à l'arcade gauche. J'ignore depuis quand je l'ai, surement depuis tout petit. Mes muscles étaient tendus, sur le qui-vive, ignorant ce qu'elle voulait. Elle avait quelque chose de familier.

« -Tu as la même petite cicatrice que mon fils Dae Jung. La même forme.
-La ressemblance va même jusqu'au prénom. Coïncidence amusante. Vous passez dans le camps chinois ? Besoin de soutien ?  »

Elle resta silencieuse quelques secondes. Il s'en suivit de nombreuses questions: Mon nom complet, mon âge et enfin, évidemment, l'identité de mes parents. Sa mission passa soudainement au second plan. Shin Soo Ji pleura longuement en me tenant les mains. Vous n'imaginez pas à quel point j'étais troublé. Je crois beaucoup au hasard, pas forcément au destin. J'eus du mal à comprendre la gravité de cette rencontre dans l'immédiat. Ma mère était soudainement en face de moi. Elle m'a tout raconté: la liaison intime et secrète entre elle et mon père ainsi que la disparition et la réapparition soudaine de celui-ci pour me récupérer après ma naissance. Il avait su de source sûre qu'elle avait eu un garçon. Comme il désirait un héritier, un fils aîné, il avait monté tout un plan pour m'arracher à elle. C'était un kidnapping qu'elle avait anticipé mais n'avait pas su éviter pour son plus grand malheur.
Pendant 16 ans, ma mère n'avait cessé de contacter le gouvernement Nord Coréen pour me récupérer, sans succès. Les familles séparées depuis la fin de la guerre ou pour d'autres motifs ne se retrouvent que très rarement, ce qui avait arrangé mon père, supprimant son existence au près de moi en me narrant sa mort.
Elle m'implora de la suivre, de faire équipe à deux et de rentrer en Corée du Sud ensemble. Je ne sus quoi faire, pensant au début que c'était du bluff pour m'amadouer. A la lumière de sa lampe torche, elle me montra des photos de moi, tout petit, qu'elle gardait avec elle. Nous nous étions réfugiés dans un coin discret de la forêt. Pendant une heure nous avons discuté à voix basse. Elle connaissait mon groupe sanguin, la date et l'heure exacte de ma naissance. Comment aurait elle pu inventer tout ça ?

Deux heures plus tard, nous pénétrions dans une caserne chinoise, assassinant un haut gradé dans son bureau. Je l'avais étouffé en l'attrapant par derrière, lui barrant la bouche de ma main, serrant son cou avec mon avant bras. Notre infiltration fut une réussite. Ce meurtre était bénéfique pour les deux Corée.
Surprise par mon agilité et ma force, elle s'extasia sur l'homme que j'étais devenu. Elle réitéra sa proposition de me ramener avec elle dans mon pays natal. J'ai accepté. J'avais l'occasion pour la première fois de ma vie de prendre une décision, de faire un choix. Quand elle a glissé une de ses mains dans mes cheveux, mon cœur a compris que tout était vrai.

Au final, oui, j'ai déserté la Corée du Nord. J'ai abandonné ma fiancée, mon père, mes amis et une carrière au sein de l'armée pour découvrir une société différente, avec ses défauts et ses qualités. Ma mère s'est empressée de contacter l'ISS et de m'y intégrer. A 21 ans, avec mes expériences antérieurs, j'ai pu prendre les cours destinés à mon âge avec aisance, n'ayant pas de retard, voir quasiment de l'avance. J'ai été agréablement surpris par cette organisation et l'enseignement passionnant que les supérieurs nous offraient. Je pense que PRINCESS a confiance en moi malgré mon dossier. Notre rencontre, le fameux test pour passer en "confirmé", en a été la preuve. Elle m'a fait l'honneur d'admettre que j'étais bon. Ses jolies lèvres n'ont pas fini de prononcer mon nom.

Je suis loyale envers la Corée du Sud et l'agence, je ne retournerais pas ma veste une seconde fois. Je n'ais eu aucun contact avec mon ancienne patrie. On m'évite encore, après 5 ans à l'ISS, de faire des missions en rapport avec la Corée du Nord. Je n'ais pas de rancœur, je n'ais aucun désir de vengeance, ça ne sert à rien. Mes affaires personnelles n'ont rien avoir avec mon travail. Les meilleurs sont imperturbables, et je suis le meilleur.
Afin de ne pas me retrouver, mon pseudonyme "Nobody" m'a parut être une évidence. Croiser mon père au cours d'une mission ne me fait pas peur, mon ex-fiancée non plus. Ils auront évolué, moi aussi. Je garderais mon sang froid comme je sais si bien faire.
Ma mère, quant à elle, s'est eclipsée, prenant sa retraite d'agent. Elle a accepté la version officielle de mon histoire et est partie de Corée, me laissant libre. Je sais où elle est et la voit le plus souvent possible. On a eu beaucoup de temps à récupérer, et on le récupère encore.