« En fait, elle explique que le Joker n'a aucune personnalité propre, que pour s'y retrouver dans le monde où il vit, il est obligé de se réinventer chaque jour, passant par exemple du clown blagueur au tueur en série complètement fou,
d'où son côté imprévisible. »

3 ans.
L'enfant souriait devant la cage du grand lion, il approcha lentement sa petite main, fixant avec attention le grand fauve comme pour le défier et la passa entre les barreaux. Il fût aussitôt agrippé par un homme, Jun Ha, le directeur du cirque, qui garda le garçon dans ses bras pour ne plus le lâcher. D'où venait-il ? Perdu, abandonné... Personne ne semblait le chercher. Il ne pleurait pas, ne semblait nullement effrayé et ne demandait aucun parent. Il courait dans les lieux, partant à la découverte du moindre artiste, du moindre animal, du moindre divertissement nouveau. Tout le monde avait eu le coup de cœur pour lui, personne ne le réclamait... Ils l'ont adopté. Yun In Ha, le nom du directeur et de sa fille qui avait l'âge d'être la mère du garçon, Su Ri. Le cirque partit et parcourra le pays, sous le regard du petit nouveau, mascotte attitrée des artistes.

L'enfant était doté d'une curiosité débordante, il fallait en permanence veiller sur lui, ses petites menottes s'aventuraient partout, et les dangers étaient réels dans le coin. Mais, l'attention d'In Ha se portait particulièrement sur sa famille adoptive. Jun Ha n'était pas seulement le directeur, mais également un artiste à part entière, avec comme partenaire Su Ri, qui avait la particularité de danser pour distraire le public. L'homme était lanceur de couteau, il s'exerçait sur sa fille, plaquée de tout son corps contre une immense cible en bois. Mais celui-ci ne s'arrêtait pas là, il utilisait également une arme à feu comme final, ce qui rendait le numéro encore plus impressionnant pour les spectateurs. In Ha voulait toucher, essayer, réussir, faire comme lui ! L'homme le laissa alors manipuler les armes, les observer plus en détails, mais il ne devait en aucun cas les toucher sans sa permission. Alors il se contenta de les regarder pendant de longues années, toujours aussi captivé par la précision de leurs actions. Su Ri le mit à la danse. A 5 ans, il la suivait sur scène et rendait le public gaga en un instant ! Qui pouvait résister à un enfant qui danser ? Maladroitement au début, mais il s'améliorait et la souplesse avec. Il squattait d'autres numéros et finissait parfois sur le dos d'un éléphant, mais jamais plus il n'a croisé un lion de près. C'est à 7 ans que Jun Ha accepta de l'initier à son art, l'enfant était aux anges ! Mais Su Ri n'était pas vraiment rassurée. L'homme lui apprit les bons gestes, les mouvements à faire et à éviter avec de telles armes. Il écoutait attentivement, passionné et impatient. Je vous laisse deviner le nombre de fois où il a pu se couper les mains, laissant de nombreuses petites cicatrices encore visibles à l'âge adulte. Il était d'une maladresse, que l'on se demandait si on allait pas en faire un numéro comique ! Mais avec les mois, ses doigts s'habituèrent et étaient devenus aussi souples que ses jambes grâce à la danse. Alors qu'à l'origine, il devait lancer le couteau, celui-ci se contentait de le faire tourner de plus en plus vite entre ses doigts et de le lancer afin de le rattraper, chose encore plus dangereuse. Et un jour, la lame se planta dans le cœur de sa main. Il étouffa rapidement un cri pour ne pas alerter quelqu'un, les larmes coulaient déjà, et il retira le couteau d'un mouvement vif. Il montra sa blessure que quelques jours plus tard et se fît sérieusement enguirlander, mais il reprit très vite son entraînement sous l’œil assuré de Su Ri. L'enfant avait appris très rapidement à lancer avec précision, et avait désormais la force de planter une lame dans le bois. Mais il avait peur, n'as-tu pas peur de blesser Su Ri ? « Bien-sûr que j'ai peur, je tiens énormément à elle. Et comme je tiens à elle, je ne peux rater ma cible. Et ça marche. » lui affirma le vieux lanceur de couteau. Mais l'avoir comme cible ne lui plaisait pas, In Ha préférait s'entraîner avec des planches ou des bouteilles en verre pour le pistolet qu'on lui prêtait. Il tirait plus loin avec une arme à feu qu'une arme blanche, il fallait faire mieux. Ce n'était pas assez, il n'était rien encore. A 8 ans, on accorda un numéro à l'enfant, qui avait convaincu la plupart des artistes, un mélange de couteaux et de danse mais par prudence, on lui conseilla de ne pas encore inclure une arme à feu. Un an plus tard, il l'avait ajouté et son numéro remporta un franc succès. Il n'avait même pas 10 ans et avait déjà des fans. Il s'inclinait encore et encore devant son public et rejoignait ses parents d'adoption avec une pointe de fierté. Mais il savait qu'il pouvait encore s'améliorer, ce qu'ils avaient vu, ce n'était rien, un jour il ferait beaucoup plus !

10 ans.
A la fin d'un spectacle séoulien, In Ha s'était éclipsé en ville pour jouer avec des enfants du quartier. Il y en avait peu au cirque, il ne côtoyait pratiquement que des adultes et avait en quelque sorte acquéri une rapide maturité. Mais il ne restait pas moins qu'un gosse, qui a besoin de temps en temps de faire une partie de foot avec des garçons de son âge. La nuit n'allait pas tarder à tomber, il était l'heure de rentrer. In Ha marchait calmement, jetant des coups d'œil aux vitrines des magasins, aux gens, aux paysages, rêvassant à sa vie si il vivait ici. Il quitta les grandes rues, pour s'engager plus en hauteur, là où les maisons devenaient moins grandes et moins bruyantes. Il distingua des nuages au-dessus d'une étendue boisée, peut-être de la pluie. Il continua, le regard vaguement braqué dans le ciel, les mains dans les poches. Plus il avançait, plus les nuages s'intensifiaient. Aplatis et foncés. Il fronça les sourcils en les voyant, un orage ? Les animaux détestaient les orages, tout le monde allait être agité ce soir. Mais, ils se noircissaient encore et encore, et restaient en un seul et même endroit, s'élevant de plus en plus haut. L'étrangeté de leur forme, ce n'était pas des nuages. Ils étaient sur son chemin, c'était dans la direction où il allait, là où s'était installé le cirque... Le feu.

In Ha arriva en plein brasier, quelques animaux avaient réussi à s'échapper et courraient dans tous les sens. Des cris retentissaient dans les flammes, la fumée s'obscurcissait, rendant les lieux dans un état d'isolement total. Que se passait-il ? Il ne savait rien, il avait peur, il était perdu. Il serra son couteau dans sa poche et entendit deux coups de feu familiers. Il s'élança à l'appel de ce son, comme dans un réflexe de survie. Un homme venait de tirer, entouré de cinq hommes en noir. Deux corps étendus sur le sol, dont In Ha reconnût à son grand désespoir les silhouettes. Jun Ha et Su Ri, exécutés à leurs pieds. Était-ce un rêve ? Un cauchemar ? L'enfant restait figé devant les meurtriers, sa main resserrant de plus belle le couteau, sa lame lui transperçant la chair. Mais un événement le sortit de sa tourmente, un nouvel homme venait de faire son apparition, et se battait contre eux. Il prenait le dessus, les envoyant les uns après les autres au tapis, les finissant avec un long poignard argenté. L'enfant suivait chacun de ses mouvements comme hypnotisé. Il s'attaqua à celui dont l'arme fumait encore. Le combat était plus long, plus dur, In Ha était tendu à l'extrême, se rendant compte qu'il portait tout ses espoirs sur cet homme mais là, tout de suite, c'était lui qui avait envie d'être à sa place et de tuer son adversaire. L'enfant courra vers la roulotte du directeur qui n'avait pas entièrement brûlée et réussit à trouver un pistolet, se brûlant au passage le haut du pouce gauche. Il serra les dents et regagna les deux hommes, dont le tueur était face à lui. A son arrivée, son sauveur qui était certainement un policier, était à terre, une arme braquée sur sa tête. In Ha pointa instinctivement son arme dans la direction de l'homme armé, sa main tremblait, son coeur souffrait. Il s'avança, un peu plus, sans se faire remarquer. Les hommes se parlaient, les flammes éclairaient leurs visages, mais personne ne l'avait vu. 20 mètres. Il allait le tuer, il devait agir. Son regard s'attarda sur les corps sans vie, allongés au sol. Il inspira et expira, calmant aussitôt les tremblements de son corps, le rendant immobile, raide, concentré. Ses yeux ne quittèrent à aucun moment l'homme qui éclatait de rire devant lui, même quand la balle lui traversa la tête, le stoppant dans un hoquet de stupeur, la gueule ouverte. Il avait eu un bref moment d'hésitation, effacé par une violence et une détermination qu'il ne se connaissait pas.

Le policier se précipita vers lui, surpris par l'apparence de celui qui avait tiré. Trop jeune pour tuer. L'homme le remercia, passa ses mains autour de l'arme, attendant que l'enfant la relâche calmement. In Ha détendit son corps étiré comme un arc, et reporta son regard froid sur l'homme. Il lui sourit en entendant ses remerciements, il sourit encore, et des larmes coulèrent sur ses joues quand il regarda à nouveau tous les corps.

Il était seul.
Seul.

In Ha était un témoin clé de l'affaire et on lui accorda toute la protection possible. Le directeur avait emprunté de l'argent à une organisation plus que criminelle, et n'avait sans doute pas eu les moyens de rembourser à temps. Le garçon ne se doutait même pas que le cirque avait des soucis financiers. Il ne savait rien, comme l'enfant qu'il était. Le délai passait, la sentence était tombée. Et il se retrouva seul au monde. Direction l'orphelinat, avec pour seul bien une boîte à chaussure, contenant ses deux armes, mais jamais il ne les montra, de peur qu'on ne les lui confie. Les seules choses qui lui restaient d'eux. Sa famille. Pendant quelques années, In Ha pensait qu'il allait peut-être être adopté à nouveau, mais finalement abandonna l'idée, car il était déjà trop âgé. Mais là où l'âge ne comptait pas, c'était bien pour charmer les gardiens, qui le laissait sortir de temps en temps, avec d'autres enfants de son âge. Il suffisait de leur rapporter un peu de nourriture et le tour était joué ! L'enfant ne s'était plus jamais servi de son arme, il n'en avait plus l'occasion maintenant, mais il n'y arrivait pas. Trop de choses lui revenaient en mémoire en la voyant. A 12 ans, il jouait les artistes de rue, agitant des baguettes chinoises en guise d'armes inoffensives. Elles tournoyaient entre ses doigts agiles et les gens s'attardaient sur son numéro, alors que celui-ci lançait ses petits morceaux de bois en faisant un grand écart. Pour le final, il sortait son couteau et entamait une danse avec lui. Les pièces pleuvaient et les billets se rajoutèrent lorsqu'il passait dans le public, faisant vriller sa lame à quelques centimètres de leurs visages ébahis. A son grand étonnement, Il Woo le policier était devenu son ami et venait lui rendre visite régulièrement, au moins une fois par mois. Enfin, rendre visite, on pouvait plutôt dire qu'il apparaissait comme ça sans crier gare, surprenant toujours In Ha. L'homme était particulièrement attentif aux talents de l'enfant, et décida un beau jour de l'entraîner. En quelques mois, il lui réapprit à tirer correctement, l'instinct reprenait le dessus, le corps se souvenait. Mais le traumatisme resta plus longtemps et demeurait. Il demeurait sans doute toujours à l'âge adulte, mais il réussissait à en faire abstraction. Pourquoi la danse ? Pourquoi se produire en public ? « La danse détend mon corps et rend mes mouvements plus fluides. Mon couteau et mon arme deviennent artistiques grâce à la danse. J'aime les gens, j'aime leur faire plaisir avec ce que je fais. C'est aussi une façon d'exister aux yeux de quelqu'un... » In Ha avait aussi appris autre chose avec le public, plus il changeait de personnages, plus les gens réagissaient à ce qu'il proposait. Il arrivait à force à déchiffrer ce qui plaisait ou ne plaisait pas, pour s'adapter à son public et aux gens qui l'entouraient. Il passa son adolescence à se modeler, sous l'oeil soucieux d'Il Woo, qui le gardait toujours sous son aile. In Ha était persuadé qu'il veillait sur lui car il lui avait sauvé la vie et il avait fini par le prendre pour modèle, puisqu'il était le seul qui pouvait l'être désormais. Mais l'homme s'intéressait à lui pour tout autre chose. A ses 17 ans, l'homme lui avoua un secret digne des plus grands films d'action : il n'était pas policier, mais un espion d'une agence appelée ISS et voilà qu'il voulait l'y faire entrer pour qu'il apprenne tous les rudiments de l'espionnage... Septique sur l'hilarité de la situation, le garçon le crût sur parole en voyant les lieux et accepta, sans vraiment savoir où il allait mettre les pieds. Mais quand on avait rien à perdre...

On lui enseigna tellement de choses qu'il avait la tête comme une patate, se demandant si on pouvait sécher les cours même dans une agence d'espions mais oublia sa question. On lui mit de nouvelles armes entre les mains et il s'améliora au tir avec une étonnante facilité. Bientôt, il assurerait en tant que sniper. Il se débrouillait en combat, et avait une préférence pour le Taekwondo, sport qui se focalisait essentiellement sur des coups portés par les jambes. Comme ils avaient en permanence les mains prises, il avait conclu qu'il fallait qu'il améliore son jeu de jambe, plus en force et moins en souplesse.

21 ans.
Il remarqua Nana, une jeune japonaise douée dans l'art du combat, qu'il n'avait jamais rencontré auparavant. Belle et mystérieuse, évidemment il craqua un peu pour elle sans s'en rendre compte mais jamais il ne l'avoua. Un jour, des agents l'avaient sérieusement questionné sur elle et avaient avoués l'avoir vu sur des caméras de surveillance, essayant d'infiltrer le système. Ils avaient besoin de lui et de sa proximité avec la possible agent-double. Il n'y croyait pas. Quand il la questionna, elle s'éloignait à chaque fois, évitant soigneusement ce qu'il abordait. Non, elle n'avait rien à cacher, répétait-elle. Mais il était têtu et elle flanchait. Il l'avait vu dans ses yeux, c'était vrai. Elle lui avoua, et lui jura qu'elle ne faisait pas cela de son plein gré, mais qu'elle avait besoin d'argent, sans lui en dire davantage. Alors, il la protégea comme il le pouvait, essayant de brouiller les pistes, mais il n'était même pas un intermédiaire, il n'était pas assez attentif à tout... Il l'appréciait cette fille, mais il avait peur de ses réelles intentions. Et si cela allait à l'encontre de la sécurité de la nation ? Alors qu'ils effectuaient une simulation tous les deux à l'extérieur, dans un bâtiment désaffecté, on envoya une patrouille pour intercepter la jeune fille. Tous les deux sur le toit, In Ha fût prévenu par son oreillette qu'il fallait la retenir sur les lieux. Soudainement inquiet pour elle, il lui cria ce qui était entrain de se passer, elle devait partir mais c'était trop tard, les hommes étaient déjà dans le bâtiment. Pas d'issues possibles, aucun escalier extérieur, aucun autre bâtiment assez près pour s'y réfugier, trop haut pour sauter... « Tuez-la. » L'ordre retentit dans l'oreillette et brisa ses tentatives de fuite. Un hélicoptère tournoya autour d'eux. Apparemment, les dernières informations qu'elle avait obtenu semblaient d'une importance capitale et il ne fallait pas la laisser s'échapper. L'ordre se répétait dans son oreillette alors que Nana restait dans le silence le plus total, quant elle s'adressa soudainement à lui, d'une voix calme et sûre d'elle « Si je me rends, ils vont m'obliger à tout leur avouer, tout et je ne peux pas prendre le risque... Je dois les protéger. Tue-moi. » Non, il refusait. Non non !! Il lui demanda de se rendre, il la supplia, il entendait une femme répéter l'ordre avec autorité et Nana en faisait de même, mais plus comme une supplication... « Vite, fais-le ! » Les hommes approchaient, ils les entendaient. « Je sais que tu ne me rateras pas... » Elle resta devant lui, ouvrant grand ses bras. Tremblant, il hésita, encore, jusqu'au dernier moment où elle aurait pu se faire prendre et il tira sur elle, en plein cœur. Elle s'effondra, sous les yeux des autres agents. Des remerciements furent ses derniers mots.